BRACAVAL, né
à Nantes en 1948, il bénéficie de la première
Bourse du Musée des Sables d'Olonne uvres dans
les Musées de Nantes, Liège, Morlaix, Les Sables d'Olonne,
Wakefield Art Gallery, PRIX : Pinneau Chaillou, Lafont, Robert Beltz.
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Le monde est fait pour aboutir à un beau livre à l'occasion de l'exposition au Musée Mallarmé Bertrand Bracaval est né en 1948 à Nantes où très tôt il fit ses premières expositions. Il aurait pu suivre les cours de l'Ecole des Beaux-Arts mais le jeune artiste, épris de liberté, n'avait de leçon à recevoir de personne, sauf peut-être des grands maîtres américains de l'expressionnisme abstrait qu'il admirait sans réserve. Bracaval est toujours resté fidèle à la peinture abstraite, apparemment sans sujet, et n'a jamais cessé d'enrichir et d'approfondir son travail. Vivre à la campagne lui permet de ne pas perdre le contact avec la nature, la lumière des paysages, les couleurs de la terre et du ciel... Loin des villes, le silence qu'il s'est imposé l'a peut-être privé d’opportunes rencontres mais sa pratique y a beaucoup gagné en densité. Son évolution ne surprend que ceux qui confondent renouvellement et nouveauté. L’exercice de la gravure (bois, métal) est pour le peintre un prolongement nécessaire et continu de son engagement : interroger les « états » de l’œuvre, mettre les formes à l’épreuve …Et, parce qu’il sait que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre », Bracaval partage son expérience avec des amis poètes et assure personnellement, en son propre atelier, tous les moments de la réalisation des ouvrages dont il entreprend l’édition (choix du papier, composition typographique, impression à la main). En ce domaine il fait indéniablement montre d’un exigeant savoir-faire mais refuse tout effet de virtuosité. Voilà pourquoi les livres produits depuis plus de trente ans par Le Pré Nian ne sont pas à proprement parler "précieux" mais tout simplement « rares ». Vincent Rousseau
* * * Multiples nuances, myriades de sens On sait bien que la lisibilité de l’œuvre n’est pas proportionnelle à sa motivation. Si la question m’était posée de mon recours obsessionnel aux mêmes formes, elle n’aurait rien pour me surprendre. La critique me semble attendue : tout entier à mes préoccupations, j’oublie l’attente d’une éventuelle audience. Voulez-vous prendre en compte le regard d’autrui, vous arrêtez tout simplement de travailler : nul ne peut peindre avec les yeux des autres. Il me semble que l’on crée non pour montrer, mais pour s’initier. Les œuvres, veut-on croire, doivent parler d’elles-mêmes, sans recours à une quelconque légende ; des éléments d’explication peuvent cependant être proposés : une fois tombé par hasard dans le triangle, il y a une trentaine d’années, je n’en suis plus sorti. Pourquoi ? Parce que cette recherche sur le peu m’a beaucoup et ne cesse de m’instruire. Le fait de passer d’une technique à une autre, de reprendre la même forme, en peinture, puis en sérigraphie, en gravure sur bois ou sur métal, change tout. On modifie le support et la lumière, la texture, le rendu sont différents. En attaquant le motif sous de nouveaux angles, d’autres univers se découvrent, des sensations jusqu’alors inconnues apparaissent. L’artiste aujourd’hui jouit d’une parfaite liberté, pour autant une contrainte oblige à la dépasser et à se surpasser, d’où le besoin pour certains de s’en imposer -librement- et dans mon cas, me tenir à ces figures élémentaires, ou rudimentaires, m’amène à trouver de nouveaux déplacements, prolongements à mon propos pictural. Ainsi s’inscrit naturellement le travail sur le livre. Il corrige ce défaut de l’image fixe, permet de faire intervenir des variations à l’intérieur d’une série, avec ses multiples nuances, ses myriades de sens. Il offre au plasticien la latitude d’introduire le temps -propre à la musique- et de jouer d’une organisation à l’instar de celle d’un texte, allant de l’introduction à la conclusion, avec ses oppositions, paradoxes, comparaisons, répétitions : la même affirmation réitérée revêt chaque fois une signification autre, repoussant, abolissant, l’idée de hasard. Réaliser une œuvre de plus n’a aucune valeur à mes yeux. Produire un objet qui « tienne sur le mur » n’en a pas davantage. Ce qui retient mon intérêt, c’est là où une œuvre va me conduire : quelle aventure me propose-t-elle ? Je pense qu’une œuvre est signifiante si l’auteur a su préserver ouverte la porte qui lui permettra d’aller vers la suivante. Quelle satisfaction procurerait le sentiment d’avoir « réussi » une œuvre si elle vous ôtait la passion de poursuivre vos recherches ? Il me semble que le public se lasse vite d’une œuvre qui a été conçue pour lui plaire, mais finalement revient à celle où l’auteur s’est captivé, même sans publicité.
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L'aune de l'instant Paru à l'occasion de l'exposition produite par le Centre Culturel de Saint-Nazaire (1994) |
Ajoutant au silence de la peinture, le peintre, sabstenant de révéler son intention, renvoyant à lui-même le spectateur, favorise une ambiguïté féconde. Inscrit-il quelques mots au coin dune
toile, Gauguin nexprime quun désarroi : Un a priori abusif voudrait que le goût du jour soit le seul juste, devrait-il être chassé par celui du lendemain, et si certaines uvres profitent dune complicité avec leur époque, dautres attendent que le temps en fournisse les clés, comme un alphabet découvert soudain autorise la traduction de textes, restés durant des siècles hermétiques. Afin de me faire une idée de leffet que produira lart moderne sur les civilisations à venir, jimagine un extra-terrestre, découvrant dans les décombres dun musée, un Mondrian et un Pollock, et les rangeant dans la même case "Art du XXe siècle ", car pouvons nous apprécier les différentes tendances de lart égyptien, alors que se confondent pour nous celles de notre peinture classique ? Pour mieux saisir le sens dune uvre, jaime mattacher à linstant premier - primitif - de la rencontre, avant toute récupération mentale. Une longue contemplation mapprend moins que léclair précédant le moment où mon être se ressaisit. Comme si le rôle dune uvre était de détruire, une seconde, les remparts derrière lesquels se protègent nos certitudes. Le contact a lieu à notre insu, dans une zone où nous mêmes - entendons notre volonté - navons ni accès ni contrôle. Nous devons basculer là où il nous semble que nous sachions, sans savoir que nous savons, ni comment nous pouvons le savoir. Revoyant une même uvre après plusieurs années, notre lecture bénéficie dun recul nous permettant dévaluer notre précédente émotion, notre ancienne grille dappréciation nous semblant alors périmée, une foule darguments nous amenant à modifier notre regard. Sommes-nous certains que notre vision eût été la même si tels commentaires ne nous y avaient préparés ? Lucide Delacroix disait : "Montrez-leurs ce quils nont pas aimé ". Notre vision étant si dépendante, sujette à tant de fluctuations, les uvres sont-elles vraiment causes que nous les aimions, en venons nous à nous interroger, et comment pouvons nous porter un jugement fiable si chacun mesure selon son aune ? La force que nous insuffle une uvre, peut nous laisser lillusion den être à son niveau, pour en savoir goûter le suc, nous trouvant gratifiés dappartenir au cercle restreint de ceux qui en ressentent lesprit; mais la rencontre suivante nous révèle dautres aspects, de sorte quà mesure où notre réceptivité se développe, nous éprouvons linquiétude que nous échappe sa grandeur consistant à ne jamais se laisser déchiffrer, toujours au delà de notre système danalyse , comme si un fil invisible en commandait toutes les facettes. La capacité de nous détacher de notre regard pour en devenir lobservateur, nous donnerait accès à une vision nouvelle. Ce sont les mêmes modèles, les mêmes paysages,
mais les projecteurs sont réglés différemment. Notre relation passionnelle
aux uvres nous enseigne que rien nexiste solidement, durablement,
tout se fondant dans cette lumière se modifiant sans cesse, à la faveur
des heures et des modes. Comme si la peinture nous amenait à douter de
nos propres yeux, pour qu'enfin nous puissions voir. |