BRACAVAL, né à Nantes en 1948, il bénéficie de la première Bourse du Musée des Sables d'Olonne
en 1972; expositions organisées par les Musées de Morlais - Angoulème - Le Mans - Le Centre
Culturel de Saint-Nazaire - Le Centre Passerelle (Brest), Galerie Spiess, Paris - Hillhead Library (Glasgow) - Maison Française d'Oxford - L'art dans les chapelles, Gourin, Bretagne.

Œuvres dans les Musées de Nantes, Liège, Morlaix, Les Sables d'Olonne, Wakefield Art Gallery,
les arthothèques de Caen, Nantes, Hennebont, Angers, La Rochelle-sur-Yon, Auxerre, Amiens
Mulhouse, Henin Beaumont, Nice.

PRIX : Pinneau Chaillou, Lafont, Robert Beltz.

 

Le monde est fait pour aboutir à un beau livre

à l'occasion de l'exposition au Musée Mallarmé

Bertrand Bracaval est né en 1948 à Nantes où très tôt il fit ses premières expositions. Il aurait pu suivre les cours de l'Ecole des Beaux-Arts mais le jeune artiste, épris de liberté, n'avait de leçon à recevoir de personne, sauf peut-être des grands maîtres américains de l'expressionnisme abstrait qu'il admirait sans réserve.
Au début des années soixante-dix Bracaval était reconnu dans le monde de l'art contemporain comme un adepte du grand format, de la couleur, du geste lyrique et généreux...

Bracaval est toujours resté fidèle à la peinture abstraite, apparemment sans sujet, et n'a jamais cessé d'enrichir et d'approfondir son travail. Vivre à la campagne lui permet de ne pas perdre le contact avec la nature, la lumière des paysages, les couleurs de la terre et du ciel... Loin des villes, le silence qu'il s'est imposé l'a peut-être privé d’opportunes rencontres mais sa pratique y a beaucoup gagné en densité. Son évolution ne surprend que ceux qui confondent renouvellement et nouveauté.
  
Sa quête le conduit vers des formes « premières » (triangles, carrés, rectangles...) qui lui servent à appréhender l'espace, répartir des surfaces, délimiter des zones…Il ne s’est pas pour autant converti à la géométrie. Dans l'organisation du champ pictural, chaque parcelle a sa matière et sa lumière mais aucune d’elles n'existe indépendamment des autres et l'artiste qui reste toujours maître des lieux veille à ce que le tableau ne soit jamais définitivement clos.

L’exercice de la gravure (bois, métal) est pour le peintre un prolongement nécessaire et continu de son engagement : interroger les « états » de l’œuvre, mettre les formes à l’épreuve …Et, parce qu’il sait que « le monde est fait pour aboutir à un beau livre », Bracaval  partage son expérience avec des amis poètes et assure personnellement, en son propre atelier, tous les moments de la réalisation des ouvrages dont il entreprend l’édition (choix du papier, composition typographique, impression à la main). En ce domaine il fait indéniablement montre d’un exigeant savoir-faire mais refuse tout effet de virtuosité. Voilà pourquoi les livres produits depuis plus de trente ans par Le Pré Nian ne sont pas à proprement parler "précieux" mais tout simplement « rares ».

Vincent Rousseau

 

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Multiples  nuances, myriades de sens

On sait bien que la lisibilité de l’œuvre n’est pas proportionnelle à sa motivation. Si la question m’était posée de mon recours obsessionnel aux mêmes formes, elle n’aurait rien pour me surprendre. La critique me semble attendue : tout entier à mes préoccupations, j’oublie l’attente d’une éventuelle audience. Voulez-vous prendre en compte le regard d’autrui, vous arrêtez tout simplement de travailler : nul ne peut peindre avec les yeux des autres. Il me semble que l’on crée non pour montrer, mais pour s’initier. Les œuvres, veut-on croire, doivent parler d’elles-mêmes, sans recours à une quelconque légende ; des éléments d’explication peuvent cependant être proposés : une fois tombé par hasard dans le triangle, il y a une trentaine d’années, je n’en suis plus sorti. Pourquoi ? Parce que cette recherche sur le peu m’a beaucoup et ne cesse de m’instruire.

Le fait de passer d’une technique à une autre, de reprendre la même forme, en peinture, puis en sérigraphie, en gravure sur bois ou sur métal, change tout. On modifie le support et la lumière, la texture, le rendu sont différents. En attaquant le motif sous de nouveaux angles, d’autres  univers se découvrent, des sensations jusqu’alors inconnues apparaissent. L’artiste aujourd’hui jouit d’une parfaite liberté, pour autant une contrainte oblige à la dépasser et à se surpasser, d’où le besoin pour certains de s’en imposer -librement- et dans mon cas, me tenir à ces figures élémentaires, ou rudimentaires, m’amène à trouver de nouveaux déplacements, prolongements à mon propos pictural.

Ainsi s’inscrit naturellement le travail sur le livre. Il corrige ce défaut de l’image fixe, permet de faire intervenir des variations à l’intérieur d’une série, avec ses multiples nuances, ses myriades de sens. Il offre au plasticien la latitude d’introduire le temps -propre à la musique- et de jouer d’une organisation à l’instar de celle d’un texte, allant de l’introduction à la conclusion, avec ses oppositions, paradoxes, comparaisons, répétitions : la même affirmation réitérée revêt chaque fois une signification autre, repoussant, abolissant, l’idée de hasard.

Réaliser une œuvre de plus n’a aucune valeur à mes yeux. Produire un objet qui « tienne sur le mur » n’en a pas davantage. Ce qui retient mon intérêt, c’est là où une œuvre va me conduire : quelle aventure me propose-t-elle ? Je pense qu’une œuvre est signifiante si l’auteur a su préserver ouverte la porte qui lui permettra d’aller vers la suivante. Quelle satisfaction procurerait le sentiment d’avoir « réussi » une œuvre si elle vous ôtait la passion de poursuivre vos recherches ? Il me semble que le public se lasse vite d’une œuvre qui a été conçue pour lui plaire, mais finalement revient à celle où l’auteur s’est captivé, même sans publicité.


                                                                                                  Bracaval 2011

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L'aune de l'instant

Paru à l'occasion de l'exposition produite par le Centre Culturel de Saint-Nazaire (1994)

 

Ajoutant au silence de la peinture, le peintre, s’abstenant de révéler son intention, renvoyant à lui-même le spectateur, favorise une ambiguïté féconde.

Inscrit-il quelques mots au coin d’une toile, Gauguin n’exprime qu’un désarroi :
" D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? "
Le mystère de la peinture serait-il de faire naître un doute tout en nous éclairant ?

Un a priori abusif voudrait que le goût du jour soit le seul juste, devrait-il être chassé par celui du lendemain, et si certaines œuvres profitent d’une complicité avec leur époque, d’autres attendent que le temps en fournisse les clés, comme un alphabet découvert soudain autorise la traduction de textes, restés durant des siècles hermétiques.

Afin de me faire une idée de l’effet que produira l’art moderne sur les civilisations à venir, j’imagine un extra-terrestre, découvrant dans les décombres d’un musée, un Mondrian et un Pollock, et les rangeant dans la même case "Art du XXe siècle ", car pouvons nous apprécier les différentes tendances de l’art égyptien, alors que se confondent pour nous celles de notre peinture classique ?

Pour mieux saisir le sens d’une œuvre, j’aime m’attacher à l’instant premier - primitif - de la rencontre, avant toute récupération mentale. Une longue contemplation m’apprend moins que l’éclair précédant le moment où mon être se ressaisit. Comme si le rôle d’une œuvre était de détruire, une seconde, les remparts derrière lesquels se protègent nos certitudes. Le contact a lieu à notre insu, dans une zone où nous mêmes - entendons notre volonté - n’avons ni accès ni contrôle. Nous devons basculer là où il nous semble que nous sachions, sans savoir que nous savons, ni comment nous pouvons le savoir.

Revoyant une même œuvre après plusieurs années, notre lecture bénéficie d’un recul nous permettant d’évaluer notre précédente émotion, notre ancienne grille d’appréciation nous semblant alors périmée, une foule d’arguments nous amenant à modifier notre regard. Sommes-nous certains que notre vision eût été la même si tels commentaires ne nous y avaient préparés ?

Lucide Delacroix disait : "Montrez-leurs ce qu’ils n’ont pas aimé ". Notre vision étant si dépendante, sujette à tant de fluctuations, les œuvres sont-elles vraiment causes que nous les aimions, en venons nous à nous interroger, et comment pouvons nous porter un jugement fiable si chacun mesure selon son aune ?

La force que nous insuffle une œuvre, peut nous laisser l’illusion d’en être à son niveau, pour en savoir goûter le suc, nous trouvant gratifiés d’appartenir au cercle restreint de ceux qui en ressentent l’esprit; mais la rencontre suivante nous révèle d’autres aspects, de sorte qu’à mesure où notre réceptivité se développe, nous éprouvons l’inquiétude que nous échappe sa grandeur consistant à ne jamais se laisser déchiffrer, toujours au delà de notre système d’analyse , comme si un fil invisible en commandait toutes les facettes.

La capacité de nous détacher de notre regard pour en devenir l’observateur, nous donnerait accès à une vision nouvelle.

Ce sont les mêmes modèles, les mêmes paysages, mais les projecteurs sont réglés différemment. Notre relation passionnelle aux œuvres nous enseigne que rien n’existe solidement, durablement, tout se fondant dans cette lumière se modifiant sans cesse, à la faveur des heures et des modes. Comme si la peinture nous amenait à douter de nos propres yeux, pour qu'enfin nous puissions voir.

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